
Analyse de Audrey Cauchet, Sustainability and Risk Officer – ONE swiss bank
L’analyse de matérialité : clé de voûte d’une stratégie de durabilité robuste
Que vous soyez expert.e ou néophyte en durabilité, il y a fort à parier que vous ayez maintes fois entendu ou lu le terme « matérialité » durant l’année écoulée. Et pour cause : en 2024, les instances européennes ont durci leur réglementation concernant le rapport extra-financier au travers d’une directive, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).
Entre autres exigences figure l’analyse de double matérialité qui, à première vue, laisse présager une complexité extrême.
Alors, pour que la matérialité n’ait plus (ou presque) de secrets pour vous, voici un article qui, nous l’espérons, devrait vous éclairer.
Les parties prenantes : de la maximisation de la valeur financière à celle de la valeur intégrée
Depuis les années 70 et la théorie de M. Friedman, la valeur financière a toujours prévalu dans les entreprises. Maximisation des profits, vision court-termiste, seule satisfaction des actionnaires et investisseurs : la matérialité financière prend racine dans ces préceptes.
Mais en 1984, un autre économiste, E. Freeman, a introduit la théorie des parties prenantes. S’opère alors un changement de paradigme. Il ne s’agit plus de s’appesantir uniquement sur les actionnaires/investisseurs mais de considérer l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise (employés, clients, fournisseurs, société civile, etc.). C’est alors la valeur intégrée qui doit être maximisée, c’est-à-dire la valeur financière mais aussi sociale et environnementale. La prise en compte des besoins et attentes des différentes parties prenantes est une première brique de l’analyse de matérialité.
L’analyse de matérialité : matérialité financière et matérialité d’impact, quelles différences ?
Deux visions de la matérialité coexistent depuis 25 ans puisque la Global Reporting Initiative, organisme à l’origine du standard de rapport de durabilité basé sur la matérialité d’impact, a publié ses premières lignes directrices en l’an 2000. Les entreprises doivent identifier les impacts positifs ou négatifs, réels ou potentiels, irrémédiables ou non, qu’elles peuvent générer sur l’environnement et la société, y compris en matière de droits humains.
A contrario, la matérialité financière, vision prédominante dans les pays anglo-saxons et portée par le Sustainability Accounting Standards Board, vise à identifier les risques et opportunités que l’environnement et la société peuvent représenter pour l’entreprise, et donc avoir une incidence potentielle sur sa performance financière.
Prenons l’exemple du secteur pétrolier pour illustrer concrètement les deux visions de la matérialité.
Le pétrole fait partie des énergies fossiles et les acteurs du secteur émettent du CO2 en très grande quantité, aggravant ainsi les conditions climatiques et nécessitant un basculement dans les énergies renouvelables.
D’un point de vue « matérialité d’impact », le secteur pétrolier génère un impact négatif réel et irrémédiable sur l’environnement, contribuant au réchauffement climatique.
D’un point de vue « matérialité financière », ce même secteur fait face au risque de voir ses actifs perdre de leur valeur (actifs grevés), ces derniers ne s’inscrivant pas dans la transition énergétique, mais c’est aussi l’opportunité de repenser son modèle d’affaires (transport propre, nouveaux vecteurs énergétiques, etc.).
De nombreuses agences de notation ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance) notent encore les entreprises en considérant uniquement la matérialité financière, ce qui est nécessaire mais non suffisant.
La double matérialité : une analyse incontournable qui se construit au fil du temps
Les deux visions de la matérialité décrites ci-avant sont donc complémentaires, raison pour laquelle les régulateurs, notamment européens et suisses, exigent dorénavant des grandes entreprises, qu’elles mettent en place une double matérialité qui tienne non seulement compte des impacts mais aussi des risques et des opportunités.
Si l’analyse de double matérialité peut être perçue de prime abord comme une contrainte, c’est une étape majeure pour élaborer sa stratégie de durabilité, prioriser ses actions et construire son rapport de durabilité. C’est aussi une occasion de dialoguer avec ses parties prenantes-clés, d’où l’importance de prendre le temps suffisant pour poser ses idées, les confronter et les comparer à celles de ses pairs.
Cependant, après la proposition de moratoire de l’ex-premier ministre français en octobre dernier, c’est désormais le chancelier allemand qui demande à la Présidente de Commission européenne de revoir le contenu de la CSRD en rehaussant les seuils d’assujettissement et en reportant son entrée en vigueur de deux ans.
Or, le Conseil fédéral devait se prononcer fin 2024-début 2025 sur un avant-projet du Code des Obligations en 2024 aligné sur les seuils européens.
Même si les politiques semblent rétropédaler sur la CSRD, n’hésitez pas à prendre de l’avance et commencez à réaliser vos premières matrices.
Vous pouvez également écrire à l’ASD si vous souhaitez que nous organisions un atelier pratique ou une formation spécifique sur le sujet.
Audrey Cauchet, Sustainability and Risk Officer – ONE swiss bank et Membre de la Commission “Evénements et Partenariats » de l’ASD