Interview de Loïc Volery du Swiss Institute for Sustainable IT (ISIT)

Les 4 points clé de cet article :

  • Le numérique serait-il un faux ami de la durabilité ?
    Ce que l’on croit immatériel pourrait bien peser lourd sur notre planète. Découvrez les trois piliers d’un numérique enfin aligné avec les enjeux écologiques et sociaux.
  • Une révolution silencieuse est en marche.
    L’intelligence artificielle générative bouleverse les équilibres… mais à quel coût ? Plongez dans les coulisses d’une technologie aussi fascinante que énergivore.
  • Les PME veulent agir, mais se heurtent à l’invisible.
    Pourquoi tant d’entreprises hésitent à franchir le pas ? Et si les freins étaient plus faciles à lever qu’on ne le pense ?
  • Des leviers insoupçonnés à portée de main.
    Changer les choses ne demande pas toujours des moyens colossaux. Quelques gestes simples peuvent amorcer une vraie transformation numérique durable.

Fondé en 2020, le Swiss Institute for Sustainable IT (ISIT-CH) est une association à but non lucratif comptant une quarantaine de membres, qui milite pour une meilleure prise en compte des impacts environnementaux et sociaux du numérique.

Son objectif : sensibiliser, former et accompagner les organisations suisses dans leur transition vers un numérique plus responsable. Active principalement en Suisse romande, l’ISIT-CH est aussi un acteur de référence dans les projets européens de numérique durable, en lien avec ses homologues français et belges. Nous avons rencontré Loïc Volery, chargé de projets au sein de l’institut.

 

En quoi le numérique responsable constitue-t-il un enjeu clé pour la transition durable des entreprises ?

Le numérique responsable repose sur trois enjeux clés. Le premier, très concret, consiste à réduire l’empreinte environnementale et sociale des infrastructures et équipements numériques sur l’ensemble de leur cycle de vie. Contrairement à une idée répandue, le numérique est tout sauf immatériel : il repose sur une extraction massive de ressources, une consommation d’énergie importante, et des chaînes de production souvent opaques. Le second pilier est d’utiliser le numérique avec plus de discernement et de manière plus ciblée, au service de la transition écologique, tout en gardant en tête les effets rebonds possibles. Le troisième enfin concerne l’inclusion : réduire la fracture numérique et garantir l’accès aux outils numériques pour tous, y compris les personnes en situation de handicap.

Ce triptyque est essentiel pour réconcilier transformation digitale et durabilité. Dans une économie tertiarisée comme la Suisse, où le numérique est omniprésent, ne pas intégrer cet enjeu dans la stratégie de durabilité revient à passer à côté d’un levier fondamental.

Quels sont les impacts environnementaux les plus méconnus?

Avant d’aborder les impacts moins connus, il est utile de rappeler que, selon les dernières études, la majorité des impacts environnementaux du numérique est liée à la fabrication des terminaux – smartphones, ordinateurs, écrans, imprimantes, objets connectés. Ces impacts s’expliquent en grande partie par le rythme élevé de renouvellement des équipements et par leur production à grande échelle. L’extraction de métaux rares, la consommation d’eau pour le raffinage, ainsi que les pollutions associées constituent des enjeux majeurs, souvent peu visibles car localisés en dehors de nos territoires.

Cependant, avec l’émergence de l’intelligence artificielle générative et son développement rapide, on observe un basculement. Les data centers deviennent des zones de forte tension écologique car ils sont nécessaires à l’entraînement et à l’utilisation de modèles d’IA générative : besoins en refroidissement et conflits d’usage de l’eau (potable), consommation électrique exponentielle et tension sur le réseau ; sans oublier les quantités de ressources que nécessite la construction de ces infrastructures. Certains pays comme les Pays-Bas ou l’Irlande ont déjà dû imposer des limites à l’installation de nouveaux centres à cause de tensions sur le réseau électrique. Par ailleurs, dans certaines régions d’Espagne ou des États-Unis, des tensions sur la disponibilité de l’eau ont été signalées. L’IA n’est pas neutre, loin de là, et impose une réflexion urgente sur son usage car son utilisation contribue à accentuer certaines pressions environnementales et tensions sur les écosystèmes.

Quelles difficultés rencontrent les PME pour s’engager dans une démarche de sobriété numérique ?

Les PME sont souvent intéressées, mais font face à plusieurs obstacles. Le premier est la méconnaissance du sujet : le numérique responsable reste flou pour beaucoup. Ensuite, il y a un manque de temps pour se former, et une difficulté à définir par où commencer. De plus dans le contexte actuel d’incertitudes économiques, les budgets RSE sont les premiers à être réduits. Enfin, le numérique responsable n’est pas encore perçu comme un axe stratégique à part entière. Pourtant, intégrer une approche responsable du numérique dans son organisation apporte son lot d’avantages : réduction des coûts, renforcement de l’image de marque, différenciation vis-à-vis des concurrents et bien sûr réduction de son empreinte environnementale.

Le projet IT4Future d’ISIT-CH que nous menons dans le canton de Vaud vise justement à créer un centre de compétences pour répondre aux questions des entreprises et les aider à monter en maturité sur ces sujets, de façon très concrète.

Que peuvent faire concrètement les PME dès aujourd’hui pour réduire leur empreinte numérique ?

Il y a plusieurs actions à la portée de toutes les organisations. D’abord, mener un premier inventaire du parc numérique : combien d’équipements ? Sont-ils tous utilisés ? Peut-on en prolonger la durée de vie ? Un double écran pour chaque collaborateur est-il nécessaire ? Ensuite, penser à la maintenance, au reconditionnement / réemploi local, à l’achat de matériel d’occasion.

Du côté logiciel, il faut évaluer les usages réels. L’IA est-elle pertinente pour mon activité ? Si oui, dans quel cas ? En matière d’hébergement, peut-on choisir un fournisseur avec un mix électrique plus propre ? Enfin, il est essentiel de sensibiliser les collaborateurs pour faire évoluer les habitudes et les prises de décisions en lien avec le numérique

Quels outils ou méthodologies recommandez-vous, et quel message souhaitez-vous transmettre aux membres de l’ASD ?

Nous recommandons de s’appuyer sur des méthodologies reconnues. Parmi elles, l’analyse de cycle de vie (ACV) multicritères, qui évalue les impacts environnementaux d’un service ou d’un équipement à chaque étape de son cycle de vie – de la fabrication à la fin de vie – constitue l’approche la plus complète. À un niveau plus accessible, un bilan carbone incluant les usages numériques représente déjà un bon point de départ.

Il existe également le label Numérique Responsable (NR), reconnu à l’international. Issu d’un référentiel développé par nos partenaires français, il offre un cadre structurant pour engager une démarche plus durable du numérique. En complément, l’ISIT-CH soutient les organisations à travers des actions de sensibilisation, de formation, l’animation d’une communauté engagée, ainsi que des projets concrets tels que IT4Future, conçu pour accompagner les entreprises dans cette transition.

Mon message aux membres de l’ASD est simple : intégrer le numérique dans votre stratégie de durabilité est une urgence. Le numérique est un levier puissant, mais aussi une source d’impacts massifs. Il ne s’agit pas de freiner l’innovation, mais de la repenser en s’assurant qu’elle répond à des besoins réels, qu’elle soit sobre, inclusive, et au service du vivant. Si vous ne savez pas par où commencer, nous sommes à votre disposition avec l’ISIT-CH pour vous aider.

Loïc Volery est chargé de projets Numérique Responsable (NR) à l’ISIT-CH, l’association de référence sur le NR en Suisse. Il travaille au développement de l’initiative IT4Future visant à sensibiliser, former et accompagner les entreprises vaudoises pour mieux intégrer le numérique dans leur stratégie de durabilité. Il rêve d’un numérique raisonné, au service de l’humain et tenant compte des limites de notre planète.