Nous avons demandé à Christian Petit ce qu’il pensait du rôle stratégique du Chief Sustainability Officer (CSO) dans un monde incertain. Nous le remercions chaleureusement de partager avec les membres de l’ASD sa vision lucide et inspirante. 

Un contexte de bascule

Alors que les crises géopolitiques, économiques et climatiques s’enchaînent, la durabilité pourrait sembler reléguée au second plan. Nombre de CSO constatent que leurs directions sont absorbées par d’autres priorités, moins sensibles aux plans d’action environnementaux ou sociaux patiemment construits. Faut-il y voir un désaveu ? Non, répond Christian Petit, ancien dirigeant de Romande Energie. Il invite à faire preuve de discernement : si l’attention immédiate se détourne, les fondamentaux ne changent pas. La crise écologique, systémique et documentée, poursuit son aggravation, quelle que soit la couleur politique du moment.

Pour les responsables durabilité, l’enjeu est de rester ancrés, lucides, et de transformer cette période en opportunité stratégique.

Faire mûrir son action discrètement

La baisse de visibilité ne doit pas signifier l’inactivité. Au contraire, c’est le moment idéal pour se renforcer. Christian Petit encourage les CSO à se former : comprendre les nouveaux référentiels, explorer les dimensions humaines de la transition, développer leur intelligence émotionnelle. La durabilité n’est pas qu’affaire de chiffres : elle repose aussi sur la capacité à mettre les individus en mouvement.

C’est aussi une période propice à la réflexion stratégique. Pourquoi ne pas reprendre sa feuille de route, questionner ses priorités, ajuster ses méthodes ? Loin du bruit médiatique, on peut aussi se recentrer sur l’essentiel, structurer ses démarches et préparer le terrain pour l’après. Par exemple en participant à des rencontres, en créant des ponts avec d’autres entreprises ou institutions, en explorant de nouvelles alliances : autant d’actions discrètes mais puissantes.

Repenser les récits, revisiter les leviers

Les mots ont un poids. « Durabilité », « RSE », « écologie » : autant de termes devenus parfois clivants, ou du moins peu engageants dans certaines cultures d’entreprise. Réinventons-les et parlons de pérennité, de résilience, d’agilité stratégique tout en mettant en avant la robustesse des modèles, la capacité à anticiper les crises, à sécuriser les approvisionnements, à fidéliser les talents.

C’est aussi le moment de mieux comprendre les collaborateurs. Le sociologue québécois Christophe Lebranche distingue huit profils selon leurs motivations : les écophiles, les technophiles, les économes, les résistants, les indifférents… Chacun appelle un discours adapté. Inutile de parler de climat à un responsable achats si la circularité peut d’abord lui faire gagner en performance économique.

Des exemples inspirants : Romande Energie

À la tête de Romande Energie, Christian Petit a mis en place une méthode simple : chaque grande direction devait identifier un projet phare par an, à mener sous l’angle de la durabilité. Les résultats ont été concrets et visibles. Un regroupement de sites a été conçu comme un bâtiment exemplaire sur le plan environnemental. Une réponse à un appel d’offres public a intégré 50 % de critères durables. Des postes électriques ont été rénovés en supprimant le gaz SF6, hautement nocif, et en utilisant des structures bois-béton.

Même la carte du restaurant d’entreprise a été repensée avec le prestataire, dans une logique de sobriété et de relocalisation. Ces projets, concrets et proches des métiers, ont permis de fédérer les équipes et de démontrer que la durabilité est un levier d’innovation et de performance.

Un rôle à redéfinir

Dans le contexte actuel, le CSO doit dépasser son rôle de garant des normes. Il devient un éclaireur stratégique, capable de lire les signaux faibles, de créer du lien, de faire dialoguer les cultures internes. Il est aussi un guide émotionnel : face à l’éco-anxiété, il donne des repères, du sens, des raisons d’agir.

Christian Petit conclut sur une note de confiance. La durabilité ne disparaîtra pas de l’agenda : elle s’imposera par la force des choses. Le rôle du CSO est de garder le cap, d’agir quand c’est possible, de préparer quand c’est nécessaire. Et surtout, de ne jamais perdre de vue que son action, parfois invisible, construit les fondations du monde de demain.

Christian Petit a été Directeur général du Groupe Romande Energie de juin 2019 à décembre 2024. Sous sa direction, l’entreprise a connu une transformation stratégique majeure, passant d’un distributeur d’électricité traditionnel à un acteur global de la transition énergétique en Suisse romande. 

 

Association des spécialistes de la durabilité
Suisse romande
©ASD 2024