Entretien avec Dorinda Phillips et Laure Veenendaal, membres du comité du Festival du Film Vert.

« Le cinéma est une langue universelle, accessible, émotionnelle, et mobilisatrice. Il peut devenir un outil stratégique au service de la transition »

Depuis vingt ans, le Festival du Film Vert s’est affirmé comme un acteur incontournable de la sensibilisation aux enjeux environnementaux. En s’appuyant sur la force du cinéma pour émouvoir, questionner et éveiller à l’action, le Festival touche chaque année un public plus large. Dorinda Phillips, co-présidente du Festival, et Laure Veenendaal, coordinatrice à Genève, nous racontent l’histoire et les ambitions d’un projet qui fait du cinéma un levier de transformation. Au-delà de la projection de films, le Festival invite les professionnels de la durabilité et les membres de l’ASD à s’emparer de cet outil universel pour catalyser le changement, créer du dialogue et nourrir les récits qui feront progresser la transition sur le terrain.

Pouvez-vous nous raconter la genèse du Festival du Film Vert ?

Le Festival du Film Vert a vu le jour à Orbe en 2006, à l’initiative d’un petit groupe de passionnés convaincus que le cinéma pouvait devenir un outil puissant pour éveiller les consciences aux enjeux environnementaux. À ses débuts, le Festival n’était qu’un événement local, avec une poignée de projections organisées dans des lieux engagés. Mais rapidement, le bouche-à-oreille, l’enthousiasme des bénévoles, et la qualité des documentaires projetés ont permis au Festival de s’étendre. Aujourd’hui, il est présent dans plus de 90 lieux en Suisse romande et dans 26 lieux en France. Chaque édition rassemble des milliers de spectateurs autour de films qui interrogent nos modèles de société, nos modes de consommation et nos responsabilités individuelles et collectives. Le Festival ne s’est pas contenté de grandir en ampleur : il a aussi élargi sa mission en intégrant des débats, des ateliers, des actions éducatives, et une volonté affirmée de toucher tous les publics, au-delà du cercle des déjà convaincus.

Le cinéma peut-il vraiment faire évoluer les comportements ?

Absolument. Nous recevons de nombreux témoignages de spectateurs qui nous disent avoir changé leur façon de consommer, de s’alimenter, ou de penser le monde après avoir vu un film. C’est cette capacité du cinéma à toucher au cœur, à éveiller des émotions profondes, qui en fait un formidable levier de transformation. Certaines images marquent durablement, parfois plus qu’un article ou une conférence. Nous posons souvent la question au début des projections : ‘Avez-vous déjà vu un film qui a changé votre vie ?’. Et les réactions sont unanimes. Au-delà de l’impact émotionnel, notre objectif est de faciliter le passage à l’action : chaque projection est suivie d’un échange avec un expert ou un acteur local, et nous diffusons des fiches-actions concrètes, thématiques (alimentation, pollution plastique, biodiversité, …) pour que chacun reparte avec des pistes.

Comment sélectionnez-vous les films ?

La sélection repose sur un processus collaboratif impliquant des centaines de bénévoles répartis dans les différents comités régionaux du Festival. Nous recevons chaque année plusieurs centaines de propositions de films, provenant de producteurs, de réalisateurs, ou d’organismes de diffusion. Notre objectif est de couvrir une diversité de thématiques — climat, agriculture, santé, activisme, économie circulaire, justice sociale — tout en mettant en avant des œuvres qui conjuguent rigueur documentaire et esthétique visuelle. Les films doivent aussi apporter un regard neuf ou proposer des solutions concrètes. Une première présélection est faite par thématique, puis nous organisons des projections internes et des échanges pour affiner nos choix. Un film ‘coup de cœur’ est choisi chaque année, à la fois pour sa qualité et pour le message qu’il incarne. Il devient alors le fil conducteur de toute la programmation. Cette approche collective renforce la cohérence du Festival tout en respectant les spécificités locales.

Quelle est l’organisation du Festival à Genève ?

Genève est l’un des pôles historiques du Festival. Depuis 2009, une équipe de bénévoles dynamiques a développé une programmation ambitieuse, en partenariat avec des communes, des institutions culturelles, des établissements scolaires et des associations locales. En 2025, ce sont plus de 50 films qui ont été projetés dans 22 lieux du canton, répartis sur 12 communes. Le Festival à Genève organise également un programme scolaire d’envergure, avec le soutien du Département de l’Instruction Publique (DIP). Grâce au dispositif ‘École & Culture’, près de 4’000 élèves ont pu assister à des projections suivies de discussions. C’est un levier puissant de sensibilisation et d’éducation à la durabilité dès le plus jeune âge.

Le Festival est-il lui-même exemplaire en matière de durabilité ?

Nous faisons tout pour être en cohérence avec les messages que nous portons. Cela commence par l’organisation en réseau : chaque région gère sa programmation localement, ce qui réduit les déplacements et favorise les événements de proximité. Pour nos invités, nous privilégions les transports publics et nous ne remboursons pas les trajets en avion. Les repas servis lors des événements sont végétariens, issus de produits locaux, souvent en partenariat avec des fermes biologiques. Nous utilisons de la vaisselle réutilisable ou louée, et nous imprimons nos supports sur papier recyclé avec des imprimeurs certifiés. Même sur le plan numérique, nous avons choisi d’héberger nos données en Suisse et de recourir autant que possible à des logiciels libres. L’enjeu est de montrer qu’un événement culturel peut être à la fois ambitieux, populaire et respectueux de la planète.

Avez-vous des exemples de films qui ont eu un impact fort ?

Oui, plusieurs. Récemment, le film ‘Outgrow the System’ a eu un grand retentissement. Il présente des modèles économiques alternatifs, plus résilients, ancrés dans les territoires et axés sur l’utilité sociale. Après certaines projections, des spectateurs sont venus nous proposer d’organiser des diffusions dans leur entreprise, leur école ou leur commune. D’autres documentaires sur la médecine durable, la pollution plastique ou la gestion de l’eau ont permis d’ouvrir des débats passionnés, y compris dans des milieux professionnels. Nous avons par exemple organisé une projection aux HUG sur la médecine intégrative, qui a réuni médecins, oncologues et patients dans un moment de partage très fort. Ces retours nous montrent qu’un film peut devenir un déclencheur, une base commune pour aborder des sujets parfois sensibles mais essentiels.

Quelles synergies envisagez-vous avec des réseaux comme l’ASD ?

Vos membres sont des professionnels engagés dans la durabilité, qui cherchent à innover, à sensibiliser et à transformer les pratiques sur le terrain. Nous voyons de nombreuses synergies possibles : projections ciblées en entreprise suivies de débats, co-organisation d’événements autour de thématiques clés, partage d’outils et de contenus, voire mutualisation de bases de données d’experts.
Nous pensons en particulier aux PME de Suisse romande, souvent pionnières dans leurs engagements mais en quête de solutions concrètes et inspirantes. Le Festival pourrait leur offrir un cadre stimulant pour sensibiliser leurs équipes, valoriser leurs initiatives et nourrir leur réflexion stratégique. Nous souhaitons aussi développer des formats tout au long de l’année, au-delà des dates officielles du Festival, pour aller à la rencontre de nouveaux publics dans leurs lieux de vie ou de travail.

Comment les membres de l’ASD peuvent-ils s’impliquer ?

Il existe plusieurs niveaux d’implication. Tout d’abord, en participant aux projections, en les relayant dans leurs réseaux, ou en organisant des séances au sein de leurs structures. Ils peuvent également intervenir lors des débats, en tant qu’experts ou témoins de terrain, pour illustrer par l’expérience ce que montre l’écran.
Nous accueillons aussi avec intérêt celles et ceux qui souhaiteraient s’engager plus durablement dans notre organisation, notamment au sein du comité genevois. Enfin, nous proposons un accompagnement sur mesure pour mettre en place des projections-débats dans un cadre professionnel. L’objectif est de créer des passerelles fertiles entre le monde culturel et économique, dans une logique de co-construction et d’impact local.

En conclusion, quel message souhaitez-vous faire passer aux membres de l’ASD ?

Nous croyons profondément au pouvoir du récit pour transformer les imaginaires et ouvrir des voies nouvelles. Le cinéma est une langue universelle, accessible, émotionnelle, et mobilisatrice. Il peut devenir un outil stratégique au service de la transition, en particulier dans les PME, où chaque action a un impact direct sur les équipes, les clients et les partenaires.
Nous invitons les membres de l’ASD à s’approprier cet outil, à en faire un levier de dialogue et d’action dans leurs sphères d’influence. Ensemble, en croisant les regards des artistes, des scientifiques, des professionnels et des citoyens, nous pouvons faire émerger des récits porteurs de transformation. Rejoignez-nous pour co-écrire ces histoires et les faire vivre là où elles peuvent déclencher le changement : sur le terrain, dans les entreprises, et au cœur des territoires suisses romands.

Dorinda Phillips, spécialiste en changement de comportement et directrice de l’Association ZeroWaste Genève. Après avoir créé et dirigé les programmes de formation pendant 20 ans dans une grande multinationale, elle travaille à présent en partenariat avec les villes, entreprises et écoles afin de les accompagner tout au long de leur cheminement vers le Zéro déchet. Dorinda est co-présidente du Festival du Film Vert depuis juillet 2024.

Laure Veenendaal est nutrithérapeute santé et réflexologue. Laure a effectué une reconversion après plus de 20 ans dans la direction commerciale d’entreprises de luxe. Elle est à présent nutrithérapeute, impliquée dans le développement de la médecine durable et intégrative. Elle est également active dans l’accompagnement de dirigeants d’entreprises et d’associations de l’économie sociale et solidaire. Laure est en charge de la coordination du Festival du Film Vert Genève depuis septembre 2024. 

 

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